L’école de Palo Alto a réuni à partir des années 50 un grand nombre de chercheurs autour de la personnalité exceptionnelle de Gregory Bateson posant ainsi les fondements des approches de la complexité, de l’approche systémique. Depuis, nombreux sont les apports théoriques et pratiques qui ont émergé des travaux issus de psychologues, psychiatres, sociologues et autres disciplinaires des sciences humaines, et une littérature savante et abondante existe à ce sujet. Ainsi, les méthodes et outils de l’approche systémique appliquée aux organisations se sont multipliés.
Intervenir avec le prisme de l’approche systémique invite à penser autrement pour agir différemment dans les situations et systèmes complexes et permet d’accompagner la transformation au sein des organisations en prenant soin des femmes, des hommes et des systèmes dans lesquels il interagissent.
Puisque l’on parle de complexité, quelles sont les nuances entre « le compliqué » et « le complexe » ?
La différence entre « compliqué » et « complexe » n’est pas uniquement sémantique.
Pour l’illustrer, prenons l’exemple de la fabrication d’une fusée et de la réalisation d’une bonne soupe.
Fabriquer une fusée nécessite des connaissances spécifiques, un ensemble de calculs savants, des procédures, des méthodes et autres plans opératoires. Dans cet univers compliqué, il y a une vérité, une logique rationnelle : le fil vert sur le bouton vert…. C’est compliqué, mais une fois construite, il est possible de démonter et remonter la fusée.
Faire une bonne soupe relève de bien d’autres conditions qu’il est impossible de maîtriser et/ou de contrôler. Outre sa recette, la « bonne soupe » dépendra par exemple de la terre dans laquelle ont poussé les légumes, du moment où ils ont été cueillis, de l’attention du jardinier. A-t-il trop plu ou pas assez ? Et le cuisinier ? Est-il attentif ou distrait ? Ne laisse-t-il pas trop longtemps la soupe mijoter ? Et dans quelles circonstances cette soupe est-elle dégustée ? Est-ce la soupe de notre grand-mère préparée avec amour ou bien celle du dimanche soir qui nous rappelle avec tristesse que demain c’est lundi ? Quoi qu’il en soit, pas de recette miracle pour la bonne soupe qui elle, ne pourra pas être refaite à l’identique ; cela dépend d’un ensemble d’éléments en interactions, certains connus, d’autres inaccessibles, et presque tous irrationnels…
Dans la complexité actuelle, diriger et manager relève désormais plus souvent d’une bonne soupe que de la fabrication d’une fusée.
Pourtant, culturellement, nous sommes généralement plus aptes à gérer des situations compliquées que des situations complexes. Passer de l’une à l’autre demande alors un état d’esprit et des fonctionnements agiles.
Appliqué aux organisations, ce raisonnement nous amène à considérer l’entreprise comme un système complexe car nombreuses sont les interactions, informations, imprévisibilités, et autres dimensions irrationnelles… Aussi, l’approche systémique apparait comme un levier stratégique plus que pertinent pour permettre une transformation qui prend soin des femmes, des hommes et des systèmes dans lesquels ils interagissent.
Sans exhaustivité, nous proposons quelques leviers pour accompagner le changement dans les organisations avec l’approche systémique.
Considérer une organisation comme un systéme complexe
L’approche systémique repose sur certains principes clés qui la distinguent des approches traditionnelles. En observant l’organisation comme un système complexe, le systémicien posera un regard particulier, « systémique », en considérant notamment le système comme un ensemble d’élément en interaction à la poursuite d’un ou de plusieurs objectifs, avec pour unique finalité : celle de survivre. Ce premier postulat implique une manière très spécifique d’aborder les résistances au changement afin de mieux les contourner.
Renoncer à trouver les causes !
Plus facile à dire qu’à faire ! Vouloir trouver « la racine » du mal est un réflexe cartésien et culturel. L’approche systémique propose de passer d’une vision linéaire (c’est-à-dire qu’une cause précède un effet qui lui succède) à une vision circulaire. Ainsi, l’intervenant systémique saura utiliser une manière de penser et de faire permettant de dépasser la pensée du « compliqué » qui ne saurait résoudre les situations complexes. Se demander à quoi peut bien servir le problème ou encore comment fait-on pour le garder sont deux techniques stratégiques et des leviers concrets permettant de se sortir de situations problématiques récurrentes. Exit les boucs émissaires et place à la co-responsabilité !
Posture haute sur le cadre, basse sur le contenu
L’expertise de l’intervenant systémique s’incarne dans sa capacité à poser un cadre d’intervention et à le faire respecter. Tel un acupuncteur avec ses aiguilles, il préconise, au meilleur endroit du système, des interventions stratégiques pour faire levier au sein de toute l’organisation. Il soulève, avec le plus petit levier, le plus gros cailloux.
En non sachant, il reste en posture basse sur le contenu car, dans la complexité, il ne peut y avoir de vérité et il ne sait pas pour l’autre, l’équipe, l’organisation, ce qui est présent et de quelle(s) ressource(s) internes/externes ils disposent pour trouver les solutions. L’intervenant systémique pourra s’appuyer sur une perception globale d’une situation ou d’un contexte versus « c’est la faute de Gérard/du service marketing,… » et ainsi passer d’une logique cartésienne à une logique systémique qui implique notamment que A n’est pas uniquement la cause de B mais que A est à la fois la cause et la conséquence de ce que fait B. Dans ce paradigme, l’intervenant systémique va donc s’intéresser aux interactions, à ce qui se relie, et pour être plus précis encore il ne s’intéresse pas à ce que les gens sont censés être (le fameux pervers narcissique par exemple) mais plutôt à ce que les gens font, comment ils le font, pour quoi il le font, dans quel but, et aux conséquences de ce qu’ils font.
Pour appréhender au mieux cette « analyse » systémique, l’utilisation d’un sociogramme par exemple facilite la compréhension des interactions/enjeux/jeux de pouvoir et permet d’éclairer de possibles « angles morts ».
En conclusion
Bien évidement, intervenir sous le prisme et le regard de l’approche systémique appliquée aux organisations ne se limite pas à ces quelques premiers postulats et leviers.
Pour résumer le systémicien aura les réflexes suivants :
- Observer les relations entre les acteurs dans leur contexte et comment cela contribue à la problématique rencontrée par ces mêmes acteurs, ici formant un système, lui-même en relation avec d’autres systèmes ou sous-systèmes, au sein d’un environnement.
- Utiliser des représentations graphiques : diagramme, sociogramme, organigramme, génogramme, carte, réseau relationnel.
- Faire des hypothèses systémiques et élaborer un plan d’action. Agir et rétro-agir si nécessaire.
- Avoir une approche pluridisciplinaire pour accompagner les organisations et travailler en équipe.
- Garder la main sur son cadre d’intervention.
- Connaître les vigilances de tout accompagnement : reflet symétrique, processus parallèle et être supervisé dans ses interventions.
« Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré » A. Einstein