Les applications de l‘approche systémique : la naissance de la pensée systémique est intrinsèquement liée à l’émergence, au cours du XXème siècle, de la notion de complexité́.
De ces réflexions et de travaux scientifiques menés par des équipes pluridisciplinaires (anthropologues, philosophes, psychiatres, psychologues mais aussi biologistes, mathématiciens, physiciens, cybernéticiens, …) est née l’approche systémique.
C’est à partir des années 50 que l’école de Palo Alto réunit une équipe de chercheurs et scientifiques autour Gregory Bateson pour créer les fondements de l’approche systémique. Celle-ci est d’abord utilisée dans un but thérapeutique auprès des personnes et des familles.
Ce modèle d’intervention innovant, stratégique, profondément humaniste, pensé pour accompagner les systèmes complexes, a bien évidement rapidement trouvé toute sa place et sa pertinence pour conduire la transformation dans les organisations.
Les applications de l'approche systémique dans les organisations
L’article ci-dessous est une réflexion proposant d’intégrer la dimension du Vivant dans les organisations pour accompagner la transformation avec le prisme de l’approche systémique. Vous y trouverez le terme « accompagnant » qui désigne toute personne en charge d’accompagner le changement dans une organisation : dirigeant, manager, DRH, RRH, Coach/Consultant interne ou externe, Conseiller en organisation, Responsable transition, Chargé d’accompagnement, Responsable QVT, … ou encore toute personne en charge de la transition écologique
Accompagner le changement dans la complexité et l’incertitude avec l’approche systémique .
La prise en compte de la dimension du Vivant dans les organisations pour une approche éco-logique, écologique et écho-logique de leur transformation.(1)
Intervenir avec l’approche systémique dans les organisations c’est, avant tout, prendre en compte la dimension du Vivant et envisager l’organisation comme un système complexe régit par des lois communes. Nous proposons ainsi d’aborder la conduite du changement avec l’approche systémique appliquée aux organisations selon trois dimensions :
- Dans une dimension éco-logique(2), accompagner le changement avec l’approche systémique appliquée aux organisations renforce la responsabilité de tous les acteurs du système
- Dans une dimension écologique (3), accompagner le changement avec l’approche systémique appliquée aux organisations préserve les ressources utiles aux systèmes(4) et optimise les potentiels.
- Dans une dimension écho-logique (5), accompagner le changement avec l’approche systémique appliquée aux organisations facilite la coopération entre les acteurs du système.
Comment définir le Vivant (6) et quels liens avec l’approche systémique appliquées aux organisations ?
« La source de la plupart de nos problèmes réside dans l’écart entre le mode de pensée de l’homme et le mode de fonctionnement de la nature ». Gregory Bateson
Définir « le Vivant » est à la fois simple et complexe. Simple, car il suffirait de le définir comme un système capable de naître, de se reproduire, de se développer, de bouger de manière autonome et interdépendante, de réguler, de se transformer, de mourir, … Complexe car à l’intérieur et à l’extérieur de ce système vivant peuvent interagir d’autres systèmes vivants, identiques et différents, plus petits et plus grands, plus forts et plus faibles, influents et influencés.
Toujours est-il que la biologie, l’éthologie, la botanique, que l’on peut regrouper comme sciences du vivant, ont permis d’observer et de révéler que tout système vivant répond à des règles de fonctionnement communes. De la bactérie aux oiseaux migrateurs, des forêts aux fourmis, de la plante carnivore aux cellules du corps humain, chaque mouvement, chaque transformation au sein d’un écosystème répond à des principes universels. Quelques concepts majeurs de la systémique doivent beaucoup à la recherche de biologistes reconnus tels que Ludwig Von Bertalanffy aux États-Unis et plus tard en France Henri Laborie ou encore Joël de Rosnay.
Comment, cette dimension du Vivant peut-elle s’incarner dans la conduite du changement au sein des organisations ?
En quoi une organisation peut-elle être régie par les lois communes du Vivant ?
L’interdépendance
Dans son ouvrage de référence « Le Macroscope »(7) Joël de Rosnay nous initie à une approche globale de tous les systèmes Vivants. De l’infiniment petit – étudié au microscope – à l’infiniment grand – étudié au télescope – le scientifique nous invite à prendre en compte, via un outil d’observation symbolique le « Macroscope », l’infiniment complexe : « L’homme regardant au-delà de lui-même cette macro-vie à laquelle il s’intègre et dont il est l’élément : l’entreprise, la ville, l’économie, l’écosystème »(8). En retraçant l’histoire de l’organisation sociale sous l’angle de l’énergie, Joël de Rosnay souligne les transferts et les flux d’énergie dont notre survie dépendent : de l’énergie solaire, par exemple, qui permet la vie sur notre planète au salaire d’un travailleur. Cet ouvrage écrit en 1974 anticipait déjà les effets possibles à moyen terme d’une activité énergétique basée sur un rendement optimum.
En effet, les conséquences de la révolution industrielle et de la mondialisation sur l’environnement sont celles que nous connaissons désormais et les effets de ces mêmes évolutions sur les individus sont exponentiels. Au niveau de notre santé d’abord : l’alimentation toujours plus riche et transformée augmente les phénomènes d’obésité et les maladies associées. En même temps, d’un autre côté du monde, une partie de l’humanité meurt de faim … La pollution, responsable du dérèglement climatique, les pesticides utilisés par nos industries, notre agriculture, ont fait accroître les maladies respiratoires, les cancers, les allergies alimentaires et saisonnières. La crise sanitaire mondiale de ces dernières années est bien évidement une autre conséquence d’une mondialisation toujours plus accrue et omniprésente.
D’autres effets des évolutions industrielles et de la mondialisation sur les individus sont à souligner : il y a toujours plus de production pour plus de consommation. Ce qui conduit les individus à une course effrénée vers l’inaccessible. À noter qu’il faut faire toujours plus avec moins de moyen. Perte de sens, épuisement professionnel, burn-out sont également les conséquences de cette course au rendement.
L’entreprise, constituée d’êtres humains (je), forme des groupes, des équipes (nous) au service d’un projet. Ce projet a un impact sur l’environnement (le monde). Ces phénomènes sont interdépendants (rapports de causes à effets) et renvoient à la notion de complexité (ce qui est tissé ensemble). Les différentes crises et les évolutions techniques augmentent chaque jour la complexité dans les organisations. Pour Dominique Genelot(9), dans une complexification incessante qui est le sens même de l’évolution de la vie, « il nous faut inventer de nouvelles organisations, de nouvelles méthodes de travail, de nouvelles régulations. Il nous faut prendre en compte ce surcroît de complexité ».
Quelles sont alors les influences, impacts, effets possibles de la conduite du changement si nous prenons en compte cette dimension du Vivant dans les organisations ? En quoi cela devient une approche « éco-logique » c’est-à-dire une logique économique ?
La dimension du Vivant dans les organisations pour une approche éco-logique
L’approche systémique c’est de travailler avec les relations en étant assez fous pour penser que, si l’on monte en haut du clocher du village et que l’on change le coq de direction, le vent va changer ». Jacques-Antoine Malarewicz
Les applications de l’approche systémique appliquée aux organisations pour renforcer la responsabilité des acteurs du système
Dans son ouvrage « la systémique », Daniel Durand propose, après avoir examiné les systèmes naturels et les organismes, d’explorer les systèmes sociaux. Il démontre ainsi une logique d’interdépendance de ces systèmes. Il souligne alors « Il nous faut prendre le problème dans sa globalité, c’est-à-dire, appréhender le système écologico-économique, les deux aspects écologique et économique étant indissociables. »(10). Nous retrouvons dans son schéma du « système-monde et ses trois composantes »(11), les liens qui unissent l’Économie, l’Humanité et la Nature. »
Le Paléontologue Pascal Pick précise les contours de cette interdépendance : « le temps de la dichotomie entre les « affaires humaines » d’un côté et la « nature » de l’autre, le temps de l’étanchéité des responsabilités lorsque la cause de l’environnement était déléguée au « politique », est révolu. Cette réalité s’impose à toute la société, et notamment aux entreprises. Il faut s’en réjouir, car seule son adoption peut espérer freiner voire endiguer le dépérissement de la planète du vivant.» (12).
Comme le démontre dans son schéma Daniel Durand, l’Économie et l’Humanité sont reliés par le travail. Dans cette circularité « Économie, Humanité » une première zone de responsabilité est à mon sens logique : l’organisation est responsable et dépendante du bien-être et de l’épanouissement de ses collaborateurs. Pourtant, comme le souligne Francis Karlowitz, nous pouvons observer dans les entreprises un déséquilibre croissant : « un écart grandissant sépare les nouvelles cultures écologiques et le maintien, voire le durcissement, de modes de production et de management étroitement techniques, qui enferment le travail humain dans des représentations de plus en plus désincarnées.»(13)
Le monde du Vivant semble désormais dans ce déséquilibre « donner, recevoir et rendre »(14) remettant aujourd’hui en question les relations entre l’Homme, l’Entreprise et l’Environnement.
Une autre zone de responsabilité convient également d’être prise en compte : les salariés sont aussi dépendants et responsables de la bonne santé économique de leur entreprise, de la manière dont ils abordent leur relation au travail, de leur relation avec leurs collègues, leurs responsables, leurs collaborateurs.
En envisageant une approche éco-logique globale, l’entreprise et ses acteurs se doivent alors de préserver toutes les ressources dont ils disposent et qui leur sont nécessaires. Dans son ouvrage « Ecomanagement » Francis Karolewicz (15) s’appuie sur les principes du Vivant pour proposer d’améliorer la durabilité et le développement du capital humain par un management adapté. Préserver ses collaborateurs, ses collègues, savoir se préserver, mobiliser et susciter l’engagement, privilégier l’économie circulaire, réduire ses déchets, encourager les déplacements doux, requièrent de réinventer de nouvelles façons de travailler, de vendre et d’acheter. Pour préserver et mobiliser ces ressources, une autre croissance et d’autres modes de management sont possibles. Frédéric Laloux, dans son ouvrage de référence « reinventing organizations »(16) nous livre quelques transformations réussies et pérennes. Elles prennent en compte l’Homme et l’Environnement.
Cependant, cette « ré-organisation », comme le nomme dans différents ouvrages Edgar Morin, est un changement de pratiques parfois radicales, un virage à 180 degrés pour beaucoup d’organisations qui fonctionnent encore aujourd’hui dans l’hyper performance, l’ultra compétitivité. Ces changements de paradigmes ne sont alors possibles que si, au sein des organisations, les conditions d’émergence d’une intelligence collective est instaurée et si chacun peut donner du sens à son action (17).
Accompagner le changement avec l’approche systémique c’est notamment s’inspirer des grands principes et lois du Vivant. Nous pouvons déterminer quatre de ces grands principes issus des bases fondamentales de l’approche systémique exposées par Luwing Von Bertalanffy (18). Ils peuvent ainsi s’appliquer à l’entreprise, aux femmes et aux hommes qui la composent :
- Le principe d’homéostasie
- Le principe de totalité
- Le principe de rétroaction
- Le principe d’équifinalité
Sans exhaustivité, nous proposons d’en décliner quelques postulats pour celles et ceux qui accompagnent le changement dans les organisations.
– La résistance au changement est normale et naturelle. C’est une information indiquant que le changement est enclenché. La résistance est toujours utile pour celle ou celui qui la manifeste. Elle est parfois nécessaire. Elle n’est jamais identitaire.
– Ce que fait A est à la fois la cause et la conséquence de ce que fait B. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas ce que les gens sont « censés être », c’est ce qu’ils font, le contexte dans lequel ils le font, comment ils le font, dans quel but ils le font, ainsi que les conséquences de leurs actions.
– L’intelligence collective et organisationnelle est capable de trouver en elle-même les réponses et les ressources pour faire face aux problèmes rencontrés. En cela « le Tout est plus que la somme des parties ». C’est de ce principe que nait la notion d’émergence. Au niveau global, des propriétés apparaissent et les émergences qui peuvent résulter d’un travail, d’une réflexion collective, sont souvent une richesse pour le système accompagné.
Rajoutons à cet axiome que le « Tout est autre chose que la somme des parties ». Comme le précise Jacques-Antoine Malarewicz « un groupe ne pense pas, ce sont les individus qui pensent. Un groupe ne décide pas […] tout groupe est parcouru par des lignes de force et des prises de pouvoir qui se déterminent en fonction de certaines spécificités.»(19)
– Les phénomènes de victimisation, de bouc-émissarisation font parties du fonctionnement d’un groupe. Les conflits sont des phénomènes inhérents au fonctionnement d’un groupe. Des fonctions de régulations le sont tout autant.
– Un système ne peut évoluer que s’il sait apprendre de ses erreurs. Le droit à l’erreur et son utilisation est, pour tout système vivant, une question de survie : « ce qui est dommageable n’est pas l’erreur, c’est la non-correction par les informations contradictoires apparues ultérieurement».(20)
– Un même état final peut être atteint en empruntant des chemins différents
Incarner et faire vivre ces postulats demande à l’accompagnant de savoir non seulement utiliser quelques bonnes techniques, mais surtout de savoir faire preuve de souplesse, de flexibilité, d’intelligence émotionnelle, de confiance, de créativité, d’humilité, et bien d’autres qualités encore.
C’est ainsi que se forment et se rejoignent plusieurs systèmes vivants qui interagissent, s’influencent mutuellement, s’entrechoquent parfois.
Pour créer les conditions de cette transformation ou systèmes et sous-systèmes se rejoignent, interagissent, s’influencent mutuellement, s’entrechoquent parfois, il peut être pertinent d’être vigilant aux ressources et de les optimiser pour mieux se transformer.
Pour ce faire, poursuivons notre réflexion sur une démarche de la conduite du changement dans les organisations dans une approche écologique. C’est-à-dire en prenant soin des femmes, des hommes et des systèmes dans lesquels ils interagissent.
La dimension du Vivant dans les organisations pour une approche écologique
Rompre les liens de l’atome, c’est créer une bombe atomique. Voulons-nous atomiser nos sociétés ou comprendre comment chaque jour nous pouvons co-construire ensemble notre bonheur ? François Balta
Le Larousse définit l’écologie comme une « science ayant pour objet les relations des êtres vivants avec leur environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants ». Dans une approche systémique nous pouvons aborder le changement dans les organisations sous l’angle d’actes écologiques, ou avec une approche écologique. Cette approche présuppose une capacité à optimiser les ressources disponibles des systèmes concernés et accompagnés. Nous proposons donc d’étudier comment l’approche systémique appliquée aux organisations, s’appuyant sur les principes du Vivant, peut utiliser ces ressources disponibles pour accompagner la transformation au sein des organisations en prenant soin des femmes, des hommes et des systèmes dans lesquels ils interagissent.
Pour reprendre d’abord la notion de système, et toujours à la lumière de l’approche systémique, un système peut se définir comme « un ensemble d’éléments en interaction à la poursuite d’un ou plusieurs objectifs »(21). Le système solaire est un système. L’être humain est composé d’un ensemble de sous-systèmes (cœur, cerveau, cellules, etc…) qui font de lui un système. Un pays, une ville, un quartier sont des systèmes. Une organisation, une équipe, un Codir sont également des systèmes.
Tous ont une seule et unique finalité : survivre. Ainsi, la tendance naturelle d’un système à se réguler sur un point d’équilibre pour survivre est le principe d’homéostasie. En intégrant ce principe, l’accompagnant au changement utilise l’homéostasie comme une ressource. Il fait alliance avec elle.
Dans une approche systémique, l’accompagnant utilise les résistances
Impliquer les acteurs du système, leur permettre d’être auteurs des évolutions subies ou choisies est en soit une première alliance avec l’homéostasie. Pour faciliter l’acceptation des changements à venir, l’accompagnant au changement s’appuie sur les particularités, spécificités et les valeurs du système qu’il accompagne. Ce qui nous renvoie à l’équation de la motivation se déterminant ainsi : Motivation = Valeurs x Ressources. Il trouve ainsi les points d’ancrage pour mobiliser « en douceur ».
Dans cette même approche d’alliance avec l’homéostasie, l’accompagnant est conscient qu’un système se régule selon deux dynamiques : la préservation et la transformation. Il ne s’oppose pas à celles-ci et il accompagne changement et non-changement. Comme le précise Jacques-Antoine Malarewicz : « changement et non-changement vont de pair, un lien très puissant et très étroit unis les deux mouvements qui ne sont pas opposés mais complémentaires.»(22)
Pour préserver et optimiser les ressources du système, l’accompagnant adopte donc une posture et des techniques adaptées. Il est flexible dans ses interventions, dans les techniques et les mots qu’il utilise pour « donner envie de changer »(23). Il accueille toute résistance comme une information utile, et ne bouscule ni le système, ni les personnes. Par sa présence, un état d’esprit bienveillant et humble, son intervention est écologique pour l’organisation et les individus car plus ça résiste, moins l’accompagnant résiste. Le parallèle avec la dépense énergétique éclairé par Joël de Rosnay(24) peut se résumer ainsi : lorsque les énergies de préservation et de transformation sont respectées, le système est respecté.
L’accompagnant est respectueux du système et de ses ressources. Il est attentif à ne pas en faire « trop ». Comme le soulignent les auteurs de « La logique de l’acouphène », il respecte les impératifs suivants : « ne pas abimer, ne pas réparer quand ce n’est pas cassé, ne pas toucher quand ça fonctionne »(25). À ces conditions, le système est amené à bouger sans contrainte forte. Cette citation attribuée à Lao Tseu en précise les effets : « La souplesse triomphe de la rigidité, la faiblesse de la force. Ce qui est malléable est toujours supérieur à ce qui est inamovible. C’est le principe selon lequel le contrôle des choses s’obtient en collaborant avec elles, la suprématie à travers l’adaptabilité. »
Dans une approche systémique l’accompagnant est attentif à sa propre écologie
Atteindre ce niveau de présence, cette « souplesse triomphant de la rigidité » demande à l’accompagnant d’être attentif à lui-même.
En tenant compte de la dimension du Vivant dans ses interventions, il devient particulièrement attentif à ce qui se passe pour lui et autour de lui. Plutôt que de « penser la chose » (pensée analytique) il « pense les flux»(26) pour une approche systémique. À nouveau, les phénomènes énergétiques s’invitent. François Vergonjeanne explique que « les cultures orientales, chinoises et japonaises en particulier, ont une toute autre approche de l’énergie. Elles ne font aucune distinction entre énergie physique et psychique, entre énergie de matière et énergie d’information. Elles considèrent l’énergie comme un tout qu’elles nomment Khi ou Chi, qui est là, partout, en toute chose et ne fait que circuler […] l’énergie est ce qui provoque un mouvement. Elle est l’origine du changement.»(27)
Avec toute sa sensibilité, l’accompagnant peut développer son intuition, ressentir et utiliser cette circulation d’énergie comme autant d’informations potentiellement utiles pour sa mission. Quelques signes parfois imperceptibles peuvent l’aider à émettre des hypothèses sur le fonctionnement du système dans lequel il interagit : les lapsus, les silences, les actes manqués, la synchronicité, et autres signaux faibles sont des informations à capter et à questionner. « La solution se retrouve partout où on ne regarde pas… »(28)
A cet effet, les apports de Dominique Baumgartner(29]) sur l’ombre dans les organisations soulignent notamment une qualité essentielle pour l’accompagnant : il doit être « disponible pour s’ajuster ». Pour Jung, il nous faut décoder ce qui appartient à nos projections pour être dans une véritable relation à l’autre. Accueillir l’existence de l’inconscient peut enrichir notre posture et pour citer à nouveau Dominique Baumgartner : « développer notre disponibilité à ce qu’on ignore ».
Pour lui permettre cette disponibilité, l’accompagnant doit être vigilant à son écologie personnelle.
Pour mieux préserver ses ressources, il prendra soin également de son temps (dans un bon équilibre vie personnelle/vie professionnelle), de son esprit (dans son ouverture au monde) et de son corps. Pour François Vergonjeanne, « Le premier outil dans les situations complexes, c’est toujours le corps ». Par le sport, la respiration, la méditation, la relaxation et autres approches et thérapies corporelles, l’accompagnant écoute et accueille ce qui se passe en lui pour une meilleure disponibilité à l’autre et au monde.
Dans les systèmes Vivants où tout se lie et se relie, nous émettons l’hypothèse que l’écologie personnelle de celui qui accompagne le changement influence les systèmes dans lesquels il interagit. Régit par des lois de résonnance, tout système Vivant peut ainsi évoluer comme le suggère Rupert Sheldrake(30). Cette évolution est possible grâce à ce qu’il nomme les « champs morphiques » et qu’il définit comme un « processus de transmission de l’information entre soi et soi, entre soi et les autres hommes ou entre soi et la nature, sans limite de temps et d’espace : par résonance morphique, je peux me mettre au diapason et en harmonie avec l’objet de connaissance, consciemment ou inconsciemment et communiquer avec le champ d’informations correspondant.»(31)
L’accompagnant, capable de se mouvoir avec agilité dans les systèmes complexes devient ainsi modélisant pour les systèmes et les individus qu’il accompagne.
Accompagner le changement avec l’approche systémique pour s’inscrire dans une « écologie de l’action »
La complexité des systèmes vivants se caractérise notamment par l’imprévisibilité. En prenant en compte cette notion d’incertitude permanente des systèmes vivants, l’accompagnant adapte ses interventions au gré des informations qu’il recueille, des hasards qu’il rencontre et utilise. La définition de l’information de Gregory Bateson résume cette capacité à s’adapter : « l’information est une différence qui crée la différence ». Aussi, plutôt qu’un programme, fixé à l’avance – répondant aux milieux homogènes – l’accompagnant préfère adopter une stratégie.
Jacques-Antoine Malarewicz précise : « le stratège avance, donc progresse toute possibilité d’attention éveillée, toute sensibilité exacerbée, toute intuition déployée […] Il fait feu de toute sensation et butine partout où il peut trouver de nouvelle chose. […] Cela lui permet d’anticiper et/ou de créer des configurations nouvelles, d’explorer des territoires nouveaux et de nouvelles alternatives »(32).
Ainsi, pour Edgar Morin, l’écologie de l’action veut dire que nous avons toujours de l’incertitude et que nous devons y naviguer en sachant que toute décision est un pari. Pour naviguer dans cette incertitude, il nous faut nous poser sur des îlots de certitude. L’action concrète, efficiente, peut être un de ces îlots. Elle est écologique si elle s’intègre dans une mécanique des petits pas, et si elle nous permet d’y revenir par des rétroactions si nécessaire.(33)
Pour mettre en œuvre des stratégies de changement efficientes et écologiques pour l’entreprise, l’accompagnant est attentif à proposer l’intervention la plus « économe » possible. Il est vigilant à « soulever le plus gros caillou avec le plus petit levier ». Pour ce faire, et en s’inspirant de ce qui est observé au microscope, il sait que le changement peut venir de la marge, qu’il faut parfois savoir surprendre un système pour déjouer les phénomènes d’homéostasie. Plutôt qu’un lourd dispositif d’accompagnement, il pourra privilégier un accompagnement « en haut » de l’organigramme ; car comme le souligne l’adage souvent cité par Jacques-Antoine Malarewicz : « Le poisson pourri souvent par la tête ».
Savoir utiliser le temps peut aussi être une stratégie payante. L’accompagnant sait, en écoutant son intuition, intervenir au bon moment, temporiser, accélérer ou reporter telle ou telle intervention sans se laisser influencer par un rythme contre-productif que l’organisation tente souvent de lui imposer. »
Nous proposons enfin d’explorer les échos possibles entre ces systèmes et sous-systèmes vivants, dans une logique nommée ici une approche « écho-logique ». Quelles influences ces systèmes ont-ils les uns envers les autres, et entre eux ? Quelles sont les ressources et les axes de vigilance dans cette logique d’écho des systèmes vivants ? En quoi cette approche « écho-logique » de la conduite du changement peut-elle faciliter la coopération ?
La dimension du Vivant pour une approche écho-logique
On ne peut pas dire que les systèmes n’insistent pas pour nous montrer comment ils fonctionnent ! François Balta
Dans une approche systémique, l’accompagnant facilite la coopération au sein des systèmes car il connait les principes suivants et les utilise au lieu de les subir.
Le reflet systémique
Le principe d’homéostasie, phénomène relatif à tout système vivant, amène le système qui doit/veut changer à utiliser des stratégies pour que rien ne change. L’organisation ne déroge pas à ce mécanisme. Comme le souligne Jacques-Antoine Malarewicz : « L’art du client, c’est de nous amener à faire comme lui, de manière à ce que rien ne change.»(34)
La notion de reflet systémique est ici introduite.(35)
Par conséquent, le système (ici l’organisation) sera suffisamment malicieux pour tenter de nous faire faire (l’accompagnant) la même chose que lui, et qu’il ne veut plus faire. Autrement dit, dans une demande de changement, l’accompagnant ne peut pas aider l’organisation s’il se retrouve dans les mêmes difficultés que celles-ci sans en avoir conscience.
Il convient donc de prendre en compte cette notion essentielle qu’est le reflet systémique car elle impacte relationnellement tous les systèmes concernés et plus particulièrement le système de celui (ceux) et celle (celles) qui accompagne(nt) le changement ». Ne pas le prendre compte revient à tomber dans le « piège homéostatique » de l’organisation. Le détecter et l’utiliser est un des leviers majeurs de l’accompagnement au changement. La régulation et la supervision restent les moyens les plus efficaces de déjouer ce piège.
Le reflet inversé et la résonnance
Un autre écho est alors possible et celui-ci est modélisant pour l’organisation. Dans leur capacité à renoncer aux intérêts personnels versus l’objectif de changement de l’organisation, les accompagnants font circuler l’information, savent se remettre en question et régulent. Cette régulation est bien évidemment nécessaire entre tous les systèmes qui interagissent. Revenons au microscope : « Dans les chromosomes des cellules vivantes, les scientifiques ont montré que la plupart des gènes sont des gènes de régulation. Plus le système est complexe, plus il a besoin de régulateurs.»(36). Ces « feed-back » et « rétroactions »(37) permettent acteurs clés du changement et ceux de l’organisation de s’ajuster pour une coopération efficiente et modélisante. La qualité des relations et des modes de fonctionnement de l’équipe d’intervenants sont primordial
La réciprocité
Selon Sabine Henrichfreise, « si tu veux transformer le client, il faut accepter qu’il te transforme.»(38). En ce sens, savoir utiliser la logique de l’écho des systèmes vivants peut également s’associer au principe de « réciprocité ». La nature nous en offre des exemples très concrets, comme celui d’une anémone et d’un escargot : « Dans les eaux glacées de l’océan Antarctique, une espèce d’anémone passe sa vie sur le dos d’un escargot (la protection en échange du transport) […] Grâce à la protection que lui offre l’anémone, l’escargot s’est même permis le luxe de s’épargner de l’énergie en confectionnant une coquille particulièrement fine. On voit dans cet exemple à quel point les relations d’entraide très étroites peuvent devenir fusionnelles jusqu’à transformer les organismes impliqués.»(39)
Appliqué à la conduite du changement, le principe de réciprocité peut ainsi exiger de l’accompagnant d’être courageux, d’accepter l’inconfort, de prendre des risques, de naviguer dans l’incertitude, d’improviser, d’inventer, d’innover, … car c’est ce que l’organisation doit apprendre à faire pour se transformer.
Cependant, comme le soulignent les auteurs de « L’entraide l’autre loi de la jungle », « Oser se laisser transformer au contact de l’autre pour rester vivants, ensemble, il y a là une véritable leçon de lâcher-prise. S’invitent à nouveau l’écologie de l’accompagnant et sa sécurité ontologique.
Il peut en être déduit que l’écho des systèmes en interactions induit reflets systémiques, reflets inversés, résonnance et réciprocité. Il convient que l’accompagnant prenne constamment en compte ces phénomènes. Par une écoute et une observation subtile, une grande flexibilité et avec humilité, il se laisse flotter dans le système qu’il accompagne sans boire la tasse.
Pour s’adapter à ces contraintes et exigences, il nous semble bien utile que l’accompagnant (qu’il soit dirigeant, DRH, consultant/coach interne ou externe, ou tout autre acteur clé de la transformation) dans une démarche d’évolution personnelle et professionnelle permanente.
Si vous pensez, comme nous, qu’il est pertinent d’accompagner le changement dans les organisations en prenant en compte la dimension du Vivant dans vos interventions avec l’approche systémique appliquée aux organisations, vous serez intéressé·e par ce que nos formations à l’approche systémique appliquée aux organisations pourront vous faire découvrir.
[1] Article de Corinne Cantin, Fondatrice et co-dirigeante des ApppreNantes Organisations, pour HEC, Certificat Excutive Coaching : « La dimension du Vivant dans le coaching d’organisation pour une approche écologique, éco-logique et écho-logique du coaching organisation ».
[2] Dans une logique d’économie
[3] Dans une logique de préserver les ressources et de les mobiliser au service de la transformation
[4] Ici nommés les systèmes accompagnants (au changement) et accompagnés
[5] Dans une logique d’écho des systèmes vivants
[6] Précisons que cet article ne fait qu’effleurer par quelques éclairages, concepts et théories ce sujet immensément complexe qu’est la dimension du Vivant et ses interdépendances.
[7] De Rosnay,Joël. Le Marcroscope, Points, 1974
[8] Ibid ; citation précédente
[9] Genelot, Dominique. Manager dans et avec la complexité, Eyrolles, page 27
[10] Durand, Daniel. La systémique, Que sais-je, 2017, page 85
[11] Ibid; citation précédente
[12] Extrait de l’article de Denis Lafay pour la tribune, le 6 juillet 2021 ‘Lettre au boss »
[13] Karolewicz, Francis. Ecomanagement, un management durable pour des entreprises vivantes, De Boeck supérieur, 2010, page 9
[14] Concept éclairé par l’anthropologue Marcel Mauss. Source internet : www.revuedumauss.com
[15] Karolewicz, Francis. Ecomanagement, un management durable pour des entreprises vivantes, De Boeck supérieur, 2010
[16] Laloux, Frédéric. Réinventing organizations. Diateno, 2015
[17] Cf Les apports de Karl Weick pour le coaching d’organisation « Sensmaking et organizing » – Document pédagogique de Anne-Carole Delhommeau-Royon – HEC COR 2021
[18] Biologiste d’origine Autrichienne, auteur de la Général System Theory
[19] Malarewicz,Jacques-Antoine. Systémique et entreprise, Pearson, 2012, page 148
[20] Balta, François et Muller, Jean-Louis. La systémique avec les mots de tous les jours, ESF éditeur, page 16
[21] Définition de Jacques-Antoine Malarewicz
[22] Malarewicz, Jacques-Antoine, Réussir son coaching, Pearson 2011, page 44
[23] Cf la PNL, les techniques d’approches paradoxales, l’approche narrative, le 180 degrés, le dialogue stratégique…
[24] Cf par 21 de ce document
[25] Bordens, Arnaud et Mathieu Nicolas. La logique de l’acouphène. Enrick B Éditions. 2019, page 400
[26] Intervention de François Vergonjeanne , Sheep coaching– HEC COR 2021 – Note Corinne Cantin
[27] Vergonjeanne, François. Coacher groupes et organisation, la T.O.B, InterEditions, 2015, page 2187
[28] Souami Indien.
[29] Intervenante HEC Exécutive Education dans le cadre du cursus Coaching des Organisations et Executive Coaching d’équipes sur le thème “L’ombre des organisations”
[30] Spécialiste anglais en biochimie et biologie cellulaire, auteur de la Théorie des champs morphiques
[31] Définition issue du document remis par HEC intitulé : « Les Champs Morphiques Les champs d’information1 et la causalité́ formative » :
[32] Malarewicz Jacques-Antoine. Systémique et entreprise, Pearson, 2012, page 198
[33] Cf. Annexe 2 « Une approche stratégique », page 47
[34] Malarewicz,Jacques-Antoine. Réussir son coaching, Pearson, 2012, page 44
[35] Le terme de reflet systémique apparait sous la plume de Jacques‐Antoine Malarewicz qui le définit ainsi au cours d’une conférence donnée à la SF Coach le 11 octobre 2005 – Support pédagogique HEC : Moral Michel, l’image troublé du reflet systémique. COR 2021
[36] Vergonjeanne, François. Coacher groupes et organisation, la T.O.B, InterEditions, 2015, page 134
[37] Notions inspirées de la Cybernetique
[38] Intervention Sabine Henrichfreise – HEC COR 2021 – Note de Corinne Cantin
[39] Chapelle, Gauthier et Savigne Pablo. L’entraide l’autre loi de la jungle, LLL, 2017, page 56